Les vignes de la Côte des Bar ont particulièrement souffert de l’année météorologique.
Du gel, de la coulure, du mildiou et, surtout, de la pluie. Toute l’année, de la pluie !

Même l’été, entre deux épisodes de grillure.
Et maintenant que les vendanges sont arrivées, il y a de la brume, le matin, et de la pluie, l’après-midi. Et pourtant, il y a de l’espoir.

« C ’est dur pour tout le monde » , soupire Arnaud Gallimard. Le vigneron riceton « n’échappe pas à la règle » : chez lui, il y a « des vignes à zéro et des vignes à 2 000 » kilos de raisin par hectare.

C’est qu’ici, dans le plus grand terroir de Champagne et son seul cru à trois appellations, les éléments ont été particulièrement sévères avec les vignerons. Arnaud Fabre, qui préside aux destinées du domaine Alexandre Bonnet, ne dit pas autre chose : « C’est difficile » , convient-il. D’autant que, si l’état sanitaire des grappes était encore bon en milieu de semaine dernière, avant la publication du ban des vendanges, la pluie n’a pas cessé de tomber depuis, au moins un jour sur deux, avec quelques belles ondées, comme jeudi 5 Septembre, par exemple, alors que les premiers coups de sécateur étaient donnés dans l’Aube.

Un jour sur deux

En réalité, la pluie est tombée à peu près un jour sur deux sur l’ensemble de la saison végétative de la vigne.

Et même avant : entre octobre (2023, NDLR) et juin, il est tombé pas moins de « 1 600 mm » d’eau sur Les Riceys, selon Arnaud Fabre. C’est deux fois le cumul de précipitations d’une année normale. Sur la station météorologique de Troyes-Barberey, on peut constater que le cumul d’octobre 2023 à août 2024 est presque 200 mm supérieur à une année dans la norme décennale. Mais 2024 est-elle une année normale ? Michel Jacob, le vigneron d’Avirey-Lingey, retourne la question : est-ce vraiment une année exceptionnelle ? Lui-même n’en est « pas du tout convaincu » . Et c’est autrement plus inquiétant.
« Tiens, v’là la pluie, Ah ! Quel sale temps ! Où est-il l’été ? L’été, où est-il ? » La chanson de Boby Lapointe aurait pu être l’antienne de l’année dans la Côte des Bar, s’il n’y avait pas eu, en plus de la pluie, cette nuit de gelée du 21 au 22 Avril, précédée, il est vrai, d’une terrible drache tombée vers 19 h, trop tard pour qu’elle sèche avant la nuit. Résultat, le 22 avril, au petit matin, la température ressentie dans les vignes de la Côte des Bar et, surtout, dans des secteurs comme celui de la vallée du Landion, était largement inférieure à ce que pouvaient supporter des bourgeons humidifiés à cœur.

Quand ça commence à dévisser

Et c’est sans doute là que le millésime 2024 a commencé à dévisser dans la Côte des Bar. Parce qu’il y a eu la pluie, mais aussi le gel, la grêle (à plusieurs reprises sur certaines parcelles), la coulure, le filage et, même, de la grillure sur des grappes exposées au soleil, cet été. À ce stade, ce n’est même plus le tiercé gagnant, c’est le Quinté+. Comme le résume Édouard Huguenot, de Celles-sur-Ource, « on se disait : on ne peut pas tout avoir, quand même, ça va bien s’arrêter à un moment donné ? Mais non, ça ne s’est pas arrêté… »

« Sur le pont en permanence »

C’est « une année où on a été sur le pont en permanence » , constate-t-il. Et tout cela, pour un résultat souvent « démoralisant » : « On s’est rendu compte qu’on était dans une impasse technique, ceux qui ont réussi la protection sont ceux qui ont utilisé des CMR2 (des produits phytosanitaires cancérogènes, mutagènes et/ou reprotoxiques suspectés, à différencier des CMR1 pour lesquels ces risques sont avérés, NDLR), c’est quand même problématique » .

80 à 90 grammes par grappe

Dernière arrivée sur le front des préoccupations, la pourriture, ce Botrytis cynerea qui s’attaque aux grappes où des baies sont éclatées ou abîmées. Les premiers foyers ont été identifiés dès l’été. Pour l’instant, la situation est sous contrôle : les grappes, qui faisaient entre 80 et 90 grammes lors de la semaine du 2 septembre, n’ont rien à voir avec celles de l’année dernière. La baisse prévue des températures dans la semaine, avec des minimales autour de 6 ºC, devrait faciliter les choses.

Rendement en berne

Le résultat de toute cette succession de problèmes, c’est un rendement agronomique en berne. Certains vignerons n’ont plus rien, ou presque, dans leurs vignes. D’autres ont réussi à limiter la casse et s’attendent à vendanger « une moitié de récolte » . Ce qui est certain, c’est que, pour atteindre le rendement d’appellation de 10 000 kilos par hectare, la marche est haute. En juillet, alors que l’interprofession annonçait cet objectif de 280 millions de cols pour l’appellation à la vendange, le rendement agronomique de la Côte des Bar était déjà 4 000 kilos par hectare sous la moyenne Champagne (6 000 kilos pour une moyenne à 10 000). Le système de réserve individuelle de l’appellation champagne est une bonne assurance, et devrait permettre de limiter la casse. En juillet, cette réserve était en moyenne de 8 961 kilos par hectare, sur un maximum possible de 10 000. Autant dire qu’elle était presque pleine. En moyenne. En réalité, cette réserve est inégalement répartie et certains vignerons vont sans doute la consommer intégralement pour atteindre le rendement d’appellation.

Un quart d’appellation

Dans certains secteurs comme celui des Riceys, on compte sur « un quart d’appellation » pour la vendange, soit une moyenne de 2 500 kilos de raisin par hectare. Romain Aubriot, le chef de cave de Chassenay d’Arce, confirme : le problème, « c’est le volume » : en 2023, la coopérative de Ville-sur-Arce avait pressé « une moyenne de 14,8 tonnes par hectare » . Cette année, Romain Aubriot s’attend à « 4,7 à 5,5 tonnes par hectare » . 4,7, « c’est avec des grappes à 80 grammes et 5,5 si elles font 90 » , précise-t-il. À Villenauxe-la-Grande, Loïc Barrat constate qu’il y a « des gens à 1 000 et des gens à 15 000 » . À Urville, Sabine Billette note une moyenne de « 3 000 kilos dans les vignes » . Montgueux, cette année, est relativement préservé. Le cru qui surplombe l’agglomération troyenne, pourtant notoirement hâtif, a même demandé des dates dans la moyenne de l’Aube : le 12 pour les pinots et le 16 pour les chardonnays…

« On ne sait pas à quelle vitesse on va vendanger… »

Est-ce que cela signifie que la vendange va être rapide ? Sans doute, même s’il faut prendre en compte qu’une vigne à ce niveau de rendement, « ça veut dire qu’il y a des pieds sur lesquels il n’y a rien » , résume Arnaud Fabre. D’ailleurs, on sait que certains vignerons n’ont rien, ou presque, à vendanger cette année. Ce qui est certain, c’est que tous les pressoirs ne seront pas en route.
« On ne sait pas à quelle vitesse on va vendanger, on a prévu une équipe réduite de moitié » , note Arnaud Fabre. Ça donnera sans doute une vendange de six à huit jours au lieu de dix à douze, suppose-t-il. Romain Aubriot, le chef de cave de Chassenay d’Arce, prévient toutefois : « En 2023, il fallait un coup de sécateur pour 200 grammes, cette année, il en faut trois » . Plus, s’il faut trier.

« Qu’il arrête de pleuvoir »

Mais c’est une des bonnes nouvelles de l’année : les pinots et les blancs qui ont passé l’année sont beaux. Même si les chardonnays sont encore un peu en retard en termes de maturité, les premiers pinots récoltés affichent de beaux équilibres. « On peut rentrer de jolies choses » , assure-t-il. Il faudrait juste, comme le note Sabine Billette, « qu’il arrête de pleuvoir » .

Une récolte qui va « coûter cher au kilo »  

D’un vigneron à l’autre, les chiffres changent mais la fourchette reste la même : à l’année, un hectare de vignes coûte environ 30 000 euros en charges de culture et de récolte. Et ce n’est pas parce que, cette année, il n’y a pas grand-chose dans les vignes de l’Aube que ces charges ont baissé. Même après le gel du 22 Avril, les enjambeurs étaient de sortie dès que possible, toute l’année, pour renouveler la protection contre le mildiou. Les équipes nécessaires pour toutes les opérations en vert, taille ou palissage, n’étaient pas non plus diminuées. Même lessivée par le gel, la grêle ou le mildiou, la vigne demande de l’entretien pour pouvoir recommencer à donner. Il n’y a guère que sur le coût de récolte que les vignerons pouvaient intervenir sans risquer de compromettre la récolte de l’année prochaine. Autant dire que, cette année, les équipes de vendangeurs seront moins nombreuses dans les vignes que l’année dernière. Certains ont déjà prévu des équipes réduites de moitié par rapport à la normale. D’autres ont la même équipe, mais pour moins de jours. Chez certains, le ciel leur est tellement tombé sur la tête qu’ils préfèrent vendanger « en famille ». D’autres, enfin, n’ouvrent pas leur pressoir et font pressoir commun avec un collègue, pour limiter la charge. « Ce qui est certain, note avec une douce ironie le vigneron Loïc Barrat, c’est que va coûter cher au kilo de raisin… »