© Photos: Est-Eclair : (André Drappier et son fils, Michel, dans le salon d’accueil de la maison d’Urville, en mars 2023. Archive Yann Tourbe)

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Décès d’André Drappier, grande figure de la Champagne

André Drappier, longtemps à la tête de la maison éponyme en Champagne, est décédé à l’âge de 98 ans. Il laisse derrière lui l’héritage d’un champagne reconnu dans le monde entier.

Le vigneron d’Urville faisait partie des quelques irréductibles qui ont permis au vignoble de l’Aube de devenir ce qu’il est aujourd’hui. Si la maison familiale d’Urville est devenue incontournable en Champagne, c’est parce qu’il a montré la voie.

André Drappier est mort, mercredi 5 Mars, à l’âge de 99 ans.

Fils, petit-fils, arrière-petit-fils de vignerons, père et grand-père de vignerons, il était au cœur de la maison d’Urville qui porte le nom de sa famille. Pour ceux qui découvrent le vignoble, il peut être difficile de comprendre à quel point cet homme a contribué à changer le cours de l’histoire de la Côte des Bar au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Et pourtant, André Drappier, autant qu’un Gaston Cheq au moment de la Révolte des vignerons, est un des mythes fondateurs du vignoble de l’Aube contemporaine.
Le vigneron d’Urville n’a pas seulement été celui qui a développé un domaine familial traditionnel jusqu’à en faire une entreprise qui expédie ses bouteilles dans plus de cent pays, il est surtout celui qui a donné à l’Aube sa première grande marque de champagne. Aujourd’hui encore, quand un magazine international comme The Drinks Business publie sa liste des marques de champagnes les plus cotées à l’international, Drappier est de la partie et, si c’est le cas, c’est parce qu’André Drappier a montré la voie.

Plaisanteries fines

Il n’était jamais bien loin quand on visitait la grande maison d’Urville et ses caves anciennes. Le sourire facile et l’œil volontiers pétillant, il ne cachait pas sa fierté de voir la marque familiale être devenue un incontournable de la Champagne. Il était peu avare de plaisanteries et animait les conversations avec les clientes et les clients venus parfois de très loin pour s’asseoir dans le salon aux boiseries anciennes. Ses plaisanteries fines et ses jeux de mots grivois étaient célèbres parmi les visiteurs. On se souvient, un jour, l’avoir entendu faire rougir et rire aux larmes un groupe d’Américaines et d’Américains francophones avec une histoire de têtes de lapins et de lapines que la pudeur interdit de reproduire ici. Les connaisseurs combleront les trous.

Du champagne pour le Général de Gaulle

L’image d’Épinal le montre, dans sa camionnette, parti par les routes à flanc de coteaux qui séparent Urville de Colombey-les-Deux-Églises, pour livrer au Général de Gaulle quelques caisses de son champagne favori.

Ce champagne extra-Dry, juste un peu moins sucré qu’un demi-sec, que le Général aimait avoir dans sa retraite haut-marnaise de La Boisserie, André Drappier se rappelait l’avoir créé juste après la guerre : un prisonnier allemand travaillait encore au domaine.Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le vignoble aubois était loin d’être remis des destructions du phylloxéra. En réalité, il n’avait même pas encore atteint son point le plus bas : ce sera au tournant des années cinquante et soixante. Il en fallait, du courage et de l’ambition, pour se dire que ce vignoble en ruines où tout était à reconstruire allait permettre de créer une marque aussi célèbre.

Pourtant, cet amoureux de son terroir et de son territoire n’hésite pas : il retrousse ses manches et se lance dans le grand chantier de sa vie, la construction d’une marque internationale.

La cuvée Carte d’or

Nul doute que le goût du premier président de la V e République pour les pinots de la maison d’Urville a aidé à construire sa réputation de qualité, mais le premier coup de génie d’André Drappier, c’est la création, en 1952 avec sa femme Micheline, de la cuvée Carte d’or, qui est encore aujourd’hui la première carte de visite de la maison. C’est avec cette cuvée que le vigneron a passé les frontières d’un département qui peinait, alors, à sortir de son rôle de pourvoyeur de raisin pour les grandes maisons de la Marne.

Le chemin de la modernité

Pas question, pour André Drappier, de critiquer les grandes maisons marnaises et de construire sa propre maison en opposition à leur modèle : au contraire, elles lui montraient le chemin à prendre. Délibérément, le vigneron engage son domaine sur le chemin de la modernisation, que ce soit au niveau des méthodes culturales ou de l’équipement, avec les tracteurs et une cave béton.

On aurait tort de trouver ironique qu’aujourd’hui, son petit-fils laboure les vignes avec un cheval, que son fils et son autre petit-fils travaillent à limiter les doses de soufre et de sucre dans les vins de la maison. Ce n’est qu’une nouvelle voie vers la modernité et André Drappier, qui se tenait au courant de tout ce qui se passait dans la maison, le savait.

Aujourd’hui, les cuvées élaborées par sa famille ont quitté La Boisserie pour entrer dans les caves de l’Élysée. N’empêche, quand on lui posait la question, avec un sourire en coin, il répétait que ses cuvées préférées, c’était l’extra-Dry et le Carte d’or.