Copyright & sources de la photo : Claudine Wolikow en 2015, lors d’une conférence qu’elle avait donnée à Clairvaux, sur la datation de «l’option champagne» pour le vignoble de Champagne méridionale.
> Archive Yann Tourbe (Est-Eclair).
Copyright & sources de la photo : Claudine Wolikow en 2015, lors d’une conférence qu’elle avait donnée à Clairvaux, sur la datation de «l’option champagne» pour le vignoble de Champagne méridionale.
> Archive Yann Tourbe (Est-Eclair).
La Côte des Bar et le monde vigneron de Champagne ont perdu un infatigable avocat : l’historienne Claudine Wolikow s’est éteinte, jeudi 22 juin, à l’hôpital Bichat de Paris. Elle venait de cosigner avec Serge, son mari, un livre de référence sur l’histoire du vignoble de la Côte des Bar.
Article de Yan Tourbe édition du lundi 26 Juin 2023 Est-Eclair
Dans sa tête, elle écrivait pour les vignerons. » Autant pour être lue par eux que pour porter leur histoire. Claudine Wolikow a définitivement posé la plume, jeudi 22 juin, à l’hôpital Bichat de Paris. Avec sa mort, le vignoble perd une voix singulière et les vignerons, une amie fidèle et passionnée. Avec elle, pour la première fois peut-être, ils ont vu qu’on prenait leur histoire au sérieux. C’était quelque chose de nouveau : l’histoire du champagne s’était plus souvent écrite du point de vue des grands noms et des belles étiquettes que de celui des obscurs artisans qui ont, depuis le XVIIe siècle, transformé le destin des terres ingrates de cette Champagne méridionale où elle était née.
Les grandes marques, les noms ronflants et le monde brillant du luxe ? Rien qui puisse impressionner cette historienne à l’humour abrupt et au verbe aigu, prompte à railler les artifices du marketing et du « terroir-caisse ». Elle, ce qui l’intéressait, c’était le destin collectif des vignerons au sein de l’appellation. « Le collectif, c’était l’évidence pour elle », affirme le vigneron Étienne Bertrand, qui est à la fois le président de Cap’C, l’association de promotion de la Côte des Bar, et un voisin, un ami de la famille. « Dans les échanges qu’on avait, elle minimisait son rôle dans l’organisation. »
Arnaud Lamoureux, autre vigneron, autre ami, ne dit pas autre chose, quand il explique que « Claudine était aussi un personnage historique : elle a eu une influence énorme sur notre image et la façon dont on la perçoit ».
Son intérêt pour le collectif, il le voit aussi dans sa passion pour les meurgers, ces murs de pierres sèches, sorties des parcelles par les vignerons pour éviter d’endommager les outils, et qui témoignent, dans leur multiplication, de la volonté collective d’aménager le territoire.
Née Claudine Houdeau en 1945, à Bayel, où ses parents étaient instituteurs, elle avait passé les premières années de sa vie dans le monde des ouvriers verriers. « Elle a toujours dit que ça l’avait beaucoup marquée », confie Serge Wolikow. Par la suite, ses parents quittent la Côte des Bar pour l’agglomération troyenne, d’abord à Saint-Parres-aux-Tertres, puis à Sainte-Savine.
Elle passe son baccalauréat au lycée de jeunes filles de Troyes puis gagne Paris, pour aller en classe préparatoire au lycée Fénelon, dans le sixième arrondissement. Elle rencontre Serge en 1966, quand ils sont tous les deux « en licence d’histoire économique et sociale ».
« Avant 2011, Claudine n’apparaissait pas comme une référence. Elle l’est devenue. »
Ses premiers travaux sur le XVIIIe siècle et les populations rurales de Champagne méridionale datent de cette époque. C’est ce sillon qu’elle creusera toute sa vie. Elle et Serge ont deux garçons et, pendant que Serge passe sa thèse d’État et entre à l’université, elle enseigne au lycée et s’engage dans le syndicalisme. Sa thèse, « La maison commune, culture politique et démocratie locale », sur les formes collectives d’organisation aux Riceys au XVIIIe siècle, attendra le début des années 90.
En 1995, peu de temps avant d’intégrer l’université de Nanterre comme spécialiste de l’histoire rurale, elle vient aux Riceys présenter son travail. « Il y avait quinze personnes dans la salle. » Le rapport à l’histoire, estime Serge Wolikow, n’était sans doute pas le même à cette époque. Les travaux de Claudine (et les siens) feront partie des éléments qui vont faire changer les choses.
« Cette conférence de 1995, j’étais là, j’étais dans la salle », se remémore Christian Jojot, l’ancien président de la cave coopérative des Riceys, Marquis de Pomereuil, et de l’Union auboise. « On ne se connaissait pas : Claudine, je l’ai connue en 2011, à l’occasion des commémorations de 1911. » Le président de coopérative et l’historienne échangent, argumentent. Elle l’appelle « le président-marquis ». Il l’accompagne à Blois, au festival du livre d’histoire.
Ces commémorations, ce sont elles, sans doute, qui ont donné à l’historienne sa stature définitive. « Avant 2011, Claudine n’apparaissait pas comme une référence. Elle l’est devenue. » Attention, soutient Serge Wolikow : il ne s’agit pas de dire que son travail n’est pas critiquable. Simplement, « il est incontournable ».
Il y a, sur l’histoire de la Champagne méridionale, un avant et un après Claudine Wolikow.
En 2003, quand elle intègre, comme experte historique, la commission de l’Inao qui doit se pencher sur le niveau communal de la nouvelle délimitation de l’appellation champagne, elle ne se fait pas que des amis. Oh, dans l’Aube, on la révère mais dans l’Aisne, on n’en pense pas la même chose. Alors qu’une partie des communes du Soissonnais et du Chemin des Dames veulent faire valoir leur légitimité à rejoindre l’appellation, elle reprend, dans un rapport de 2008, une phrase qui cristallisera la rancœur : « Soissons est connue pour son haricot ».
Historienne sans concession, Claudine Wolikow était aussi une plume exigeante. Chaque mot comptait. « Elle pouvait passer un temps infini sur un texte pour, à la fin de la journée, n’enlever que deux phrases », se souvient Arnaud Lamoureux. Pourtant, elle n’aborde les formes longues du livre que tardivement, dans trois ouvrages coécrits avec son mari Serge. Le premier, c’est « Champagne ! Une histoire inattendue ». En riant, Serge Wolikow se rappelle les ronchonnements de Claudine, qui n’aimait pas le surtitre. Lui-même le justifie : c’était la première fois qu’on écrivait l’histoire du champagne de cette manière. Et il souligne le côté paradoxal d’avoir commencé par l’histoire générale de la Champagne, avant de comprendre que la région qu’ils connaissent le moins, c’est celle de l’Aube.
« J’ai lu des choses que je n’avais jamais lues ailleurs. »
Mais, une fois qu’elle se penche sur le sujet, elle ne s’arrête plus. D’abord, en épluchant tous les documents des procès de la « guerre de vingt ans » entre la Marne et l’Aube, de 1911 à 1927. Un travail de titan, interrompu entre 2015 et 2017, le temps de se pencher sur l’histoire du Rosé des Riceys.
« Après 2017, elle s’est remise sur le projet général de la Côte des Bar, alors même qu’elle n’était pas très en forme », explique Serge Wolikow. Et elle écrit. Des pages et des pages. Deux fois plus de pages que prévu. Christian Jojot, Arnaud Lamoureux et Étienne Bertrand font partie de la « bande des quatre » qui reçoit les chapitres au fur et à mesure qu’ils sont écrits. Quand vient la question de couper dans son texte, parce que l’éditeur italien n’attendait pas autant de pages et va augmenter les coûts d’impression, c’est impossible. « Il n’y avait rien à couper ! » s’exclame Arnaud Lamoureux. « J’ai toujours éprouvé une difficulté à juger les chapitres que Claudine m’envoyait mais ce que je sais, c’est que j’ai lu des choses que je n’avais jamais lues ailleurs… » Une souscription évitera le problème. Et c’est tant mieux : ces pages, ce sont les dernières qu’elle a écrites.
Elle croquait la vie par tous les bouts. « La dernière fois que je l’ai vue, en décembre 2022, elle avait bu une flûte, fumé une clope… » se rappelle Christian Jojot. Tous se souviennent de son appétit pour les choses de la vie. Tous se souviennent aussi de son appétit pour les échanges, les discussions. « Elle venait faire une conférence à Marquis de Pomereuil, une heure et demie et, après, un verre à la main, on lui posait une question et on était reparti pour une heure », s’amuse Arnaud Lamoureux. « Elle voulait toujours tout comprendre, c’était comme les Lumières. Avec Claudine, j’avais l’impression d’être en 1789 à chaque coup de téléphone. »